Sur la scène internationale, la France se présente souvent comme la championne du climat. Pourtant, elle peine à réduire ses émissions de CO2. Dans le transport, le bâtiment et les énergies renouvelables, il reste beaucoup à faire. Les Français doivent aussi prendre garde aux produits qu’ils importent, souvent très carbonés.
Pourquoi la France doit-elle adopter une politique climatique ambitieuse ?
Le changement climatique est un phénomène mondial. Chaque pays doit donc faire son maximum pour réduire sa consommation d’énergie et ses émissions. La France est l’un des pays développés qui émet le moins de gaz à effet de serre par habitant. Car plus de 70% de son électricité est produite à partir du nucléaire, une énergie qui présente des inconvénients (gestion des déchets et risques d’accident) mais ne dégage quasiment pas de CO2. Cela ne veut pas dire que la France n’en émet pas du tout ! L’énergie, ce n’est pas que l’électricité : 70% de nos besoins en énergie (chauffage, essence…) sont couverts par des énergies fossiles que l’on importe de l’étranger.
La France doit donc agir pour réduire ses émissions. Cette obligation est d’autant plus forte qu’elle a aujourd’hui une responsabilité particulière dans la lutte climatique. En effet, la France est l’un des pays les plus anciennement industrialisés : elle a davantage contribué que d’autres au réchauffement planétaire, en utilisant le charbon puis le pétrole dès le 19e siècle pour développer son industrie et assurer à ses citoyens un haut niveau de confort.
Les objectifs français

En 2017, la France s’est fixé un objectif très ambitieux : celui d’atteindre la neutralité carbone en 2050. Cela signifie parvenir à un équilibre entre les émissions de gaz à effet de serre dues à nos activités et leur absorption par de nouvelles technologies ou des mangeurs de carbone comme les forêts ou les prairies. Cela revient à réduire nos émissions de 80% par rapport à leur niveau de 1990. En 2016, on en était à une baisse de seulement 16%, grâce aux efforts importants de l’industrie, et notamment de la chimie, qui a réduit sa consommation d’énergie. Pour parvenir à une baisse de 80%, la France a établi un programme : la Stratégie Nationale Bas Carbone ou SNBC. Tous les cinq ans, la SNBC définit des plafonds d’émissions à ne pas dépasser : les budgets-carbone.
Tous ces objectifs se doublent d’un discours très engagé des dirigeants français. Dès les années 2000, la France s’est positionnée comme leader dans la lutte contre le changement climatique. En 2002, le président Jacques Chirac s’est fait remarquer lors du sommet de la Terre dans un discours resté célèbre : « Notre maison brûle, et nous regardons ailleurs. » Depuis son arrivée à l’Élysée en mai 2017, Emmanuel Macron s’est quant à lui affiché comme un champion du climat face au président américain Donald Trump.
Parmi les grandes mesures annoncées par la France en 2018-2019 :
- la fin d’ici 2040 des voitures neuves roulant au pétrole.
- la fermeture d’ici 2022 des quatre dernières centrales à charbon.
- la rénovation énergétique de plusieurs centaines de milliers de logements par an.
- la mise en place d’une taxe sur les billets d’avions.
- la fin d’ici 2040 de la recherche et de l’exploitation sur le sol français du pétrole et du gaz.
La France tient-elle ses objectifs ?
Malheureusement, ces promesses ne suffisent pas. C’est pourquoi en juillet 2018, le ministre de l’Écologie Nicolas Hulot a démissionné du gouvernement. Il estimait que la France n’en faisait pas assez. C’est ce qu’a confirmé le Haut Conseil pour le Climat (HCC). Mis en place en 2018, ce groupe d’experts doit évaluer tous les ans les progrès entrepris par rapport aux objectifs fixés dans la SNBC. Dans son premier rapport, publié en juin 2019, le HCC a reproché à la France d’aller trop lentement.
Dans leur rapport, les experts constatent que :
- La France n’a pas réussi à respecter ses objectifs de réduction pour la période 2015-2018. La consommation d’énergies fossiles a augmenté et la France a émis 4% de gaz à effet de serre de plus que prévu.
- Ce sont les secteurs du bâtiment et des transports qui présentent les plus mauvais résultats. Les voitures individuelles restent le moyen de transport prédominant, il y a encore très peu de voitures électriques en circulation, la part du fret ferroviaire et fluvial baisse alors que le transport de marchandises par camion progresse, ainsi que les ventes de SUV, ces 4×4 urbains, très lourds, qui consomment davantage. Dans le secteur du bâtiment, le chauffage au fioul reste trop répandu et les rénovations énergétiques sont insuffisantes.
- Notre empreinte carbone est composée des émissions nationales mais aussi des émissions générées par les biens importés, qui ont été produits à l’étranger. Or si nos émissions nationales baissent, nos émissions importées ne cessent d’augmenter ! Depuis 2012, l’empreinte carbone d’un Français provient à plus de 50% des produits importés.
- Les énergies renouvelables progressent trop lentement. La France s’est engagée vis-à-vis de l’Union européenne à atteindre, en 2020, 23% d’énergies renouvelables dans sa consommation d’énergie. En 2018, cette part n’était que de 16,5%, insuffisante pour que la France puisse rattraper son retard. Ce retard concerne surtout le solaire et l’éolien offshore.
- Pouvoirs publics, entreprises et citoyens n’investissent pas assez dans les équipements et les infrastructures écologiques et continuent à privilégier les produits ou les équipements qui émettent beaucoup de gaz à effet de serre.

Par ailleurs :
- La France n’a prévu aucune mesure visant à limiter l’étalement des villes sur les campagnes. Le gouvernement soutient de grands chantiers, comme les contournements autoroutiers de Strasbourg ou de Rouen qui bétonnent des terres agricoles et augmentent le trafic routier.
- Alors que la France promet un budget vert, elle continue à soutenir les secteurs polluants comme le transport aérien et routier en leur versant chaque année plusieurs milliards d’euros.
- EDF ferme ses centrales au charbon en France mais continue à brûler du charbon… à l’étranger, comme en Grande-Bretagne et en Chine. Actionnaire à 83% du groupe EDF, l’État français aurait pourtant le pouvoir de s’y opposer.
- La France soutient haut et fort la préservation de la forêt amazonienne. Pourtant, elle ferme les yeux sur l’importation de soja et d’huile de palme, responsables de déforestation massive, notamment au Brésil, en Indonésie et en Malaisie.
Réclamant des actes plutôt que des paroles, quatre associations ont attaqué l’État français en justice pour qu’il respecte ses engagements climatiques. C’est l’Affaire du siècle. Plus de deux millions de Français – du jamais vu ! – ont signé une pétition fin 2018 pour soutenir cette action et forcer le gouvernement à agir plus efficacement.

Passer à l’action sans tarder, mais pas n’importe comment
La France doit engager une vraie révolution dans les comportements. Il nous faut changer notre façon de produire, manger, consommer, bouger ou encore habiter. Agir au plus vite, oui, mais pas n’importe comment ! En effet, il faut songer à des mesures justes et équitables qui ne pèsent pas sur les plus démunis.
Si on prend un ménage modeste qui se chauffe peu et consomme peu, faute d’argent, son impact sur le climat est moindre que celui d’un ménage plus fortuné qui habite une grande maison, prend l’avion pour ses vacances et achète tous les derniers produits à la mode. Une mesure comme la taxe carbone sur le prix du carburant automobile peut être vue comme une bonne chose car elle pénalise les gens qui polluent. Mais est-ce juste et équitable de faire payer plus cher une personne qui a de faibles revenus et est contrainte de prendre sa voiture tous les jours pour aller au travail, alors qu’un Français plus riche, qui aura les moyens de s’acheter une voiture électrique, lui, ne paiera pas cette taxe ? C’est ce sentiment d’injustice qui en 2018 a donné naissance au mouvement des Gilets jaunes. Une taxe carbone, pourquoi pas, afin d’inciter les gens à moins prendre la voiture, mais accompagnée d’aides financières pour les plus démunis et d’un vrai plan de développement des transports en commun.
LE SAVIEZ-VOUS ?
Les efforts français s’inscrivent dans la politique climatique de l’Europe.
La politique française s’inscrit dans le programme plus large fixé par l’Union européenne, dont le but est de réduire ses émissions de 40% d’ici à 2030 par rapport à 1990, puis d’atteindre la neutralité carbone en 2050. L’UE est la seule région riche qui affiche un objectif aussi ambitieux. Pourtant les ONG estiment que c’est encore insuffisant ; elles réclament une baisse de 50 à 65% d’ici 2030. L’Europe fixe la règle générale, mais c’est à chaque État d’élaborer sa propre stratégie et les moyens utilisés pour réduire ses émissions.
Réduire les émissions liées à la consommation d’énergie
Pour réduire les émissions issues de la consommation d’énergie, il existe trois moyens :
- la décarbonation qui consiste à remplacer les énergies fossiles par des énergies renouvelables.
- l’efficacité énergétique, qui consiste à rendre nos machines moins gourmandes en énergie.
- la sobriété énergétique, qui consiste à éviter les consommations d’énergie inutiles, grâce à des éco-gestes individuels ou des politiques d’envergure nationale.
Un Français consomme deux fois plus d’énergie que la moyenne mondiale : 47% l’est dans le bâtiment, 31% dans les transports, 19% dans l’industrie et 3% dans l’agriculture.

Réduire les émissions des transports
Il ne suffit pas d’interdire les voitures à essence en 2040 et de miser sur leur remplacement par des voitures électriques comme le fait le gouvernement pour régler le problème climatique, d’autant qu’une voiture, même électrique, engendre des émissions de gaz à effet de serre lors de sa fabrication. Il est essentiel de réduire le nombre de voitures sur les routes et de financer des modes de transport alternatif comme la marche, le vélo ou les transports en commun.
Il faudrait :
- privilégier le transport ferroviaire ou fluvial pour les marchandises, plutôt que le camion.
- encourager le vélo pour les trajets de moins de 3 km, développer les pistes cyclables et les compensations financières à destination de ceux qui utilisent le vélo pour se rendre au travail.
- encourager l’usage des transports en commun, en les rendant gratuits par exemple, en développant une offre plus importante et mieux répartie sur tout le territoire.
- favoriser le report modal, c’est-à-dire la combinaison de moyens de transport différents, par exemple en permettant aux cyclistes de circuler plus facilement avec leur vélo dans le train.
- développer le train et financer les petites lignes qui desservent la province.
- encourager le télétravail, le covoiturage, l’usage partagé de véhicules…

Industrie, bâtiment et agriculture
Dans l’industrie. Il faudrait commencer par réduire notre consommation de biens et d’équipements. Mieux nous consommerons, moins nous gaspillerons et moins l’industrie dépensera d’énergie. Mais il faut reconnaître qu’il est difficile pour les citoyens de s’y retrouver face aux messages contradictoires émanant du gouvernement : un jour, il appelle à la sobriété et aux éco-gestes, mais le lendemain, il se réjouit de la croissance et d’une consommation en hausse… Idem : le mardi, il critique le transport aérien et décide d’une taxe sur les billets d’avion, pour le mercredi applaudir la vente de 300 nouveaux Airbus à une compagnie aérienne.
Dans le bâtiment. Il existe en France 7,4 millions de passoires énergétiques (cf. La question de Sunny), ces logements très mal isolés qui consomment beaucoup trop d’énergie. L’État français s’est fixé pour objectif de rénover tous ces logements d’ici à 2025, mais cela avance bien moins vite que prévu ! De 300 000 logements rénovés par an actuellement, il faudrait passer à plus du double en 2030.
LA QUESTION DE SUNNY
C’est quoi une passoire énergétique ?
Une passoire énergétique, encore appelée passoire thermique, c’est un logement très mal isolé qui laisse passer le froid en hiver et la chaleur en été. Il rejette davantage de CO2 et fait grimper la facture de chauffage. Les logements les plus problématiques sont les logements construits avant 1975, et encore plus avant 1950. Ceux bâtis entre 1950 et 1975 disposent parfois d’une isolation thermique, mais rarement très efficace. Un Français sur cinq est « en situation de précarité énergétique ». Cela signifie que plus de 10% de son budget est consacré aux dépenses d’énergie : chauffage, carburant, électricité.
Dans l’agriculture. Pour réduire nos émissions de gaz à effet de serre dans le secteur agricole, il faudrait :
- réduire la part de viande dans notre alimentation.
- réduire le gaspillage alimentaire.
- passer d’une agriculture intensive à une agriculture moins énergivore et plus respectueuse des sols comme l’agriculture biologique. En 2018, seulement 7,5% de la surface agricole était cultivée en agriculture biologique, alors que la loi française prévoyait une part de 20% en 2020.
- réduire les engrais azotés, qui représentent 40% des émissions du secteur. Le gouvernement s’y est engagé, malheureusement, les ventes ont augmenté.
LA FRANCE, BONNE OU MAUVAISE ÉLÈVE ?
Les plus
- La France est l’un des pays affichant le moins d’émissions à effet de serre en Europe.
- Engagement à atteindre la neutralité carbone en 2050.
- L’industrie a largement contribué à réduire les émissions françaises de CO2 entre 1990 et 2015.
- 90% de l’électricité française est décarbonée grâce à la production nucléaire et aux barrages hydroélectriques.
- La France a lancé un grand programme de rénovation énergétique des logements.
- Les émissions nationales par habitant ont baissé depuis 25 ans.
Les moins
- La France est l’un des pays européens qui parvient le moins à réduire ses émissions de gaz à effet de serre.
- La France n’atteint pas les objectifs qu’elle s’est fixés depuis 2015.
- Le bâtiment, les transports et l’agriculture sont à la traîne. Les émissions ne baissent pas aussi vite que prévu.
- Les énergies renouvelables ne se développent pas assez vite. La France n’atteindra pas l’objectif de 23% de renouvelables dans sa consommation d’énergie finale en 2020 comme promis à l’Europe.
- Les rénovations de logement ne vont pas assez vite et ne sont pas suffisamment ambitieuses.
- Les émissions des produits importés ont explosé, car on achète de plus en plus de produits venant de l’étranger et dont l’empreinte carbone est plus élevée.
SUR CE SUJET, VOIR AUSSI LES FICHES
- Le nucléaire est-il une solution aux énergies fossiles ?
- Comment réduire les émissions mondiales de gaz à effet de serre ?
- L’énergie en France
- Le climat, une affaire d’États
- Consommer mieux, gaspiller moins
QUELQUES SOURCES INTÉRESSANTES
- Stratégie Nationale Bas Carbone (SNBC), version projet publiée en décembre 2018, Ministère de la Transition écologique
- Haut Conseil pour le Climat (HCC), rapport 2019 – 1/ Rapport complet, 2/ Version grand public
- Quels marqueurs pour une vraie ambition ? Projet de loi Energie – Climat, par le Réseau Action Climat, Juin 2019
- La France respecte-t-elle ses objectifs sur le climat et l’énergie ? Résultats provisoires pour l’année 2018, publiés le 18 septembre 2019 par l’Observatoire Climat Energie
- L’Affaire du Siècle, résumé de l’argumentaire déposé devant le tribunal administratif
- Projet de loi d’avenir pour les transports et la mobilité dont la France a besoin, Evaluation du projet de loi d’Orientation des mobilités, Réseau Action Climat, 29 mai 2019
- Impacts du changement climatique, à quoi faut-il s’attendre en France ? Carbone 4, 27 juin 2019
- Dérèglements climatiques : adapter la France à l’horizon 2050, infographie résumant le rapport sénatorial d’information de mai 2019