Depuis 40 ans, les scientifiques alertent sur l’existence du changement climatique. Pourtant, certains mettent régulièrement en doute ce phénomène. Ces climato-sceptiques sont ultra-minoritaires, le problème est que les médias et les réseaux sociaux leur offrent une tribune qui exagère leur importance.
La vérité scientifique
Le phénomène de l’effet de serre a été décrit pour la première fois en 1820 par le scientifique français Joseph Fourier : il fait alors le lien entre l’augmentation de la concentration de CO2 dans l’atmosphère et le réchauffement climatique. Au tout début du 20e siècle, le Suédois Svante Arrhenius va plus loin : il estime qu’un doublement de cette concentration correspondrait à un réchauffement planétaire de 4 à 5°C. Une théorie qui s’est malheureusement confirmée depuis.
En 1979, la Maison Blanche commande un rapport à l’Académie américaine des Sciences. Ce rapport, piloté par le scientifique Jule Charney, fait clairement le lien entre la consommation de pétrole, de gaz et de charbon et la hausse de la température moyenne de la planète. « Depuis plus d’un siècle, peut-on lire, nous avons la preuve irréfutable que l’atmosphère change et que nous contribuons à ce changement. Les concentrations atmosphériques de dioxyde de carbone augmentent continûment, ce qui est lié à la combustion des ressources fossiles et à l’utilisation des sols. Puisque le dioxyde de carbone joue un rôle significatif dans l’équilibre thermique de l’atmosphère, il est raisonnable de penser que son augmentation continue affectera le climat. » Seulement, à cette époque, les premiers effets du changement climatique ne sont pas encore perceptibles sur Terre. Les chercheurs le savent et avertissent que cela ne deviendra visible par tous que lorsque l’atmosphère aura absorbé une énorme quantité de CO2. Autrement dit, une fois qu’il sera trop tard pour revenir en arrière ! Malheureusement, le rapport Charney tombe dans l’oubli, les politiques préférant réagir à ce qu’ils voient de leurs yeux plutôt qu’à de lointaines prévisions.
En 1988, un climatologue réputé, James Hansen, également membre de la NASA, tire de nouveau la sonnette d’alarme. Alors que les États-Unis traversent une forte canicule, il prévient le Sénat américain de l’urgence climatique. Cette fois, le monde tend l’oreille.
Le GIEC, une structure exemplaire
Quasiment au même moment, l’ONU crée à la demande du G7 (composé des 7 plus grandes puissances de l’époque) un Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, le GIEC – ou IPCC en anglais. Son premier rapport, publié en 1990, confirme le lien entre activités humaines et changement climatique. Il sera suivi de quatre autres : en 1995, 2001, 2007 et 2014. Le 6ème doit paraître en 2022.
Le GIEC n’est pas un institut de recherche mais un collectif représentatif de toute la communauté scientifique. Autrement dit, il ne mène pas de travaux de recherche mais synthétise les connaissances existantes. Cette synthèse est ensuite remise aux gouvernements qui, une fois informés de la situation, peuvent prendre les mesures qui s’imposent.
Durant le processus d’écriture, complètement ouvert et transparent, tous les scientifiques qui sont en désaccord peuvent s’exprimer. Une discussion critique intervient alors entre les différents chercheurs pour parvenir à un consensus. Ce débat scientifique et le consensus qui en découle sont uniques au monde par leur rigueur et le nombre de chercheurs qui y participent.
Quand en 1992, la quasi-totalité des États a signé la Convention climat des Nations unies (CCNUCC) et s’est engagée à stabiliser les émissions de gaz à effet de serre afin de préserver le climat, tous les espoirs étaient permis. Malheureusement, près de 30 ans plus tard, les émissions n’ont pas baissé, elles n’ont même jamais cessé d’augmenter ! La contestation climato-sceptique a contribué à cet échec. On aurait pu croire que la création du GIEC aurait créé une relation de confiance entre la société et les résultats scientifiques, mais c’est tout l’inverse qui s’est produit. Les climato-sceptiques n’ont cessé de matraquer cette structure pourtant exemplaire, en l’accusant de tous les maux.
Les climato-sceptiques sont partout
Quand on pense climato-sceptiques, on pense tout de suite au premier d’entre eux : le président américain Donald Trump, qui ironise régulièrement sur Twitter – surtout lors des vagues de froid – sur « ce bon vieux changement climatique », dont il nie la réalité. Des enquêtes d’opinion ont montré qu’en dépit de l’avancée constante des connaissances scientifiques sur le réchauffement climatique, les Américains doutaient de plus en plus : alors qu’en 2007, ils étaient 71% à croire que la combustion des énergies fossiles pouvait dérégler le climat, cette proportion avait chuté à 44% en 2011 ! En Russie et en Europe de l’Est, où les fake news circulent à une vitesse impressionnante, les thèses climato-sceptiques ont aussi de beaux jours devant elles.
Mais la France est loin d’être à l’abri. L’Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’ Énergie (Ademe) conduit chaque année un sondage auprès des Français pour connaître leur position. Figure notamment la question suivante : « À votre avis, lorsque l’on parle aujourd’hui du réchauffement de l’atmosphère terrestre dû à l’augmentation de l’effet de serre, est-ce plutôt… » Réponse A : « une hypothèse sur laquelle les scientifiques ne sont pas tous d’accord » ou Réponse B « une certitude pour la plupart des scientifiques » ? Aussi étonnant cela puisse-t-il paraître, en 2018, 37% des personnes interrogées choisissaient la réponse A, selon laquelle cette théorie ne ferait pas consensus chez les scientifiques. Ce qui est bien sûr faux. Cela confirme que le doute instillé par les climato-sceptiques a bel et bien fait son chemin…
La responsabilité des médias et des réseaux sociaux
Les climato-sceptiques sont ultra-minoritaires, comparés à l’immense majorité des scientifiques qui reconnaissent la réalité du changement climatique. Le problème est que les médias et les réseaux sociaux leur offrent une tribune qui exagère leur importance.
Pour être équitable, les journalistes accordent généralement le même temps de parole aux partisans et aux opposants d’une théorie, quelle qu’elle soit. Beaucoup de médias traditionnels font donc la même chose quand ils abordent la question du changement climatique. Le problème est qu’ils mettent ainsi sur un pied d’égalité les vrais spécialistes du climat et les charlatans qui, sous l’apparence de la science, propagent des mensonges. Une étude menée en 2019 dans les médias anglophones a même montré que les climato-sceptiques sont plus fréquemment interviewés que les scientifiques sérieux ! Difficile avec une couverture médiatique si peu équilibrée d’informer réellement les citoyens et de leur faire prendre conscience de l’urgence climatique.
LE SAVIEZ-VOUS ?
Nous sommes entrés dans l’ère de l’Anthropocène.
L’Anthropocène, cela signifie « l’ère de l’homme ». C’est le nom que le prix Nobel de Chimie Paul Crutzen a donné au début des années 2000 à cette période de l’histoire où les activités humaines ont commencé à avoir un impact manifeste sur la Terre et son climat. Le scientifique a fait démarrer ce nouvel âge géologique en 1784, date du brevet de James Watt sur la machine à vapeur, symbole des débuts de la Révolution industrielle. Pour marquer le début de cette ère où l’homme a commencé à altérer la planète, d’autres préfèrent 1945, date à laquelle a explosé la première bombe atomique.
Comment les climato-sceptiques manipulent-ils l’opinion ?
Si les climato-sceptiques parviennent à être si présents dans les médias, c’est qu’ils ont réussi, en quelques dizaines d’années, à mettre en place une véritable machine de guerre. Une machine financée par les producteurs d’énergie fossile mais aussi par les industries automobile, chimique et agroalimentaire, des lobbies puissants et fortunés qui utilisent les méthodes de désinformation éprouvées avec succès par l’industrie du tabac il y a plusieurs dizaines d’années, puis par les fabricants de pesticides comme Monsanto.
Les intérêts des climato-sceptiques sont très divers. D’ailleurs, on parle toujours de « climato-sceptiques », pourtant ce terme est parfois inapproprié car certains d’entre eux ne doutent pas du tout du changement climatique ! Mais pour défendre leurs intérêts financiers, ils choisissent de le nier en public : c’est le cas de l’industrie pétrolière qui aurait tout à perdre financièrement si le monde cessait de consommer son or noir. Des documents secrets révélés ces dernières années par des journalistes aux États-Unis et aux Pays-Bas montrent que les géants pétroliers ExxonMobil et Shell connaissaient depuis 40 ans l’impact de leurs activités sur le climat. À l’époque, ils ont mené des études sur la question. Ces documents font froid dans le dos : ils faisaient déjà le lien entre la combustion des énergies fossiles et le changement climatique et parlaient de conséquences « potentiellement catastrophiques » : hausse de la température moyenne de 2°C dès 2030, montée des mers d’1 à 6 mètres, disparition de milliers d’espèces… Mais ni ExxonMobil ni Shell ne l’ont jamais ébruité, préférant classer ces documents confidentiels, et investir des millions de dollars pour contester la réalité du changement climatique.
LA QUESTION DE SUNNY
C’est quoi un lobby ?
Un lobby, c’est un groupe de personnes ou d’entreprises qui tente d’influencer l’opinion publique ou les décideurs politiques sur un sujet bien précis, souvent au détriment de l’intérêt général. Par exemple, le lobby de la chimie fait pression sur les gouvernements pour qu’ils n’interdisent pas le glyphosate, qui leur rapporte beaucoup d’argent. En 2018, le ministre français de l’Ecologie, Nicolas Hulot, a démissionné parce qu’il trouvait que ces lobbies étaient trop puissants et réussissaient à influencer la politique du gouvernement.
Si de nombreux climato-sceptiques sont motivés par des intérêts financiers, politiques ou idéologiques, d’autres agissent tout simplement pour attirer l’attention et faire sensation. Ils n’ont rien à dire, mais l’essentiel est qu’on parle d’eux et qu’on les voit à la télévision.
Leur arme la plus courante est de semer le doute. Comme l’ont fait il y a 50 ans les fabricants de cigarettes qui ont falsifié des études affirmant que le tabac provoquait le cancer du poumon et payé en secret des chercheurs pour qu’ils défendent la cigarette. C’est la même chose avec le climat. Bien souvent, l’honnêteté des climatologues est mise en cause et ils sont présentés comme des escrocs et des manipulateurs.
Les scientifiques spécialistes du climat – les seuls qui aient une vraie compétence sur la question – sont des climatologues. Pourtant bien souvent, ceux qui interviennent dans les médias pour nier l’évidence climatique sont des géologues, des géochimistes, des géophysiciens… Ils ne sont pas spécialistes de la question, mais utilisent leur position de scientifique pour laisser croire qu’ils savent tout sur tout.
Une de leurs astuces consiste à jouer sur le bon sens populaire. Par exemple, en insinuant que le CO2 ne peut influer sur le réchauffement climatique car il n’est présent qu’en part infime dans l’atmosphère. Cette assertion peut sembler logique, pourtant elle est totalement fausse : les gaz à effet de serre représentent certes moins de 1% de l’atmosphère, mais ce 1% joue un rôle très important. Cela est prouvé scientifiquement depuis bien longtemps. Très souvent, les climato-sceptiques affirment que les vagues de froid démontrent que le réchauffement climatique est un mensonge. Ils jouent sur la différence entre météo et climat. La météo, c’est le temps qu’il fait aujourd’hui ou demain, alors que le climat, c’est le temps moyen (températures, précipitations…) sur une période de 30 ans. Bien sûr, il peut faire froid un jour, mais cela ne signifie pas que sur une longue période de temps, la température moyenne n’a pas augmenté.
Quelques polémiques climato-sceptiques en France
Aux États-Unis, les climato-sceptiques disposent d’importants moyens financiers et s’assurent une large audience dans les médias. C’est moins le cas en France, mais cela n’empêche pas les controverses. Dès 1979, des scientifiques alertent sur la menace climatique. C’est le cas du volcanologue Haroun Tazieff en 1979 dans une émission très populaire de l’époque, les Dossiers de l’écran. Présent sur le plateau, le commandant Cousteau, idole de nombreux Français et symbole de la protection des océans, n’hésite pas à qualifier alors de « baratin » les propos d’Haroun Tazieff.
En 2010, c’est un ancien ministre, Claude Allègre, qui fait le buzz. Dans son livre, L’imposture climatique, il affirme que le changement climatique est une foutaise qui n’a rien à voir avec les activités humaines. Le scientifique est invité partout et son ouvrage devient un best-seller. Éminent géologue, il ne connaît rien aux sciences du climat et énonce de stupéfiantes contre-vérités. Il va jusqu’à falsifier certaines études, mais les Français se laissent séduire par ce géochimiste explosif, habitué des coups de gueule. Cet épisode a traumatisé de nombreux scientifiques français qui depuis ont compris la nécessité de mieux communiquer auprès du grand public.
Dix ans plus tard, le climato-scepticisme reste bien vivant en France. Ainsi, à l’été 2019, certains députés Les Républicains (LR) se sont fait remarquer en critiquant férocement la jeune militante suédoise Greta Thunberg, portant ainsi préjudice à son message sur l’urgence à agir.
SUR CE SUJET, VOIR AUSSI LES FICHES
- Le pétrole
- Le climat, une affaire d’États
- Qu’est-ce le changement climatique ?
QUELQUES SOURCES INTÉRESSANTES
- Comprendre le GIEC, ministère de la Transition écologique
- Le Giec a trente ans : son histoire, son rôle… et un climat toujours plus chaud, 13 mars 2018, Reporterre
- Dès 1979, le rapport Charney annonçait le réchauffement climatique, Le Monde, 28 décembre 2009
- Représentations sociales du Changement climatique, Sondage mené par l’ADEME auprès des Français au sujet du changement climatique, juillet 2018
- Haroun Tazieff et le risque de réchauffement climatique, Haroun Tazieff, Claude Lorius et Cousteau sur le plateau des Dossiers de l’écran, 4 septembre 1979
- Climato-scepticisme et médias : la duperie, 13 août 2019, blog de Sylvestre Huet, Le Monde
- La fabrique du mensonge : comment les industriels manipulent la science et nous mettent en danger, Stéphane Foucart, Folio Gallimard, 2014
- Les marchands de doute, Naomi Oreskes et Erik Conway, Le Pommier, 2012